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Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 2ème partie (Béatitudes de 1 à 4)

Après avoir aperçu, dans la première partie de ce dossier, de quelle manière les Béatitudes se situent dans l’histoire de l’Oratorio, abordons directement chacunes d’elles. Nous conseillons à nos élèves de se munir de la partition et du livret. Lire l’article


SOMMAIRE :

 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 1ère partie (présentation générale)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 2ème partie (Béatitudes de 1 à 4)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 3ème partie (5ème et 6ème Béatitudes)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 4ème partie (7ème et 8ème Béatitudes)


LIENS UTILES :


Prologue et 1ère Béatitude

Dès le début du Prologue, un motif monte du grave des violoncelles, qui va servir non seulement de fil conducteur ou de thème cyclique à travers toute l’œuvre, mais de signal à l’arrivée de chaque message des Béatitudes. Il soutient et accompagne la voix du Christ. Le motif du prologue devient la mélodie même du chant à la 3e, 6e, 8e Béatitude : << Heureux ceux qui pleurent >> (3e),<< Heureux les cœurs purs >> (6e), << Venez les bénis de mon Père >> (8e). C’est donc un motif au sens primitif de soutien musical du mot. Il est constitué de 4 notes ascendantes conjointes et d’un saut de quinte descendante. Il apparaîtra soit en contre-temps comme ici (a), soit sur le temps. Pour plus de clarté, j’appellerai ce motif, le motif des Béatitudes.

Accompagnant ce motif, plusieurs contre-motifs : le premier (b) de deux notes conjointes à intervalles chromatiques, tendres et plaintives, le second (c) d’une descente arpégée, légère et passionnée. Ainsi apparaissent deux expressions proposées par le texte : la misère de l’homme et la réponse du ciel.

Cette évocation du ciel est confiée à deux autres motifs << conséquents >>, et eux-mêmes s’opposant l’un à l’autre : le premier (d) dans une affirmation ascendante sur les notes-pivots de DO # majeur, le second (e) dans une gamme descendante plus consolatrice.

Ainsi, une série d’oppositions dans le dessin mélodico-rythmique (contraste qui existe à l’intérieur même du motif des Béatitudes) indique assez bien un effort et une chute, une tension à la fois aimante et souffrante, que l’on retrouvera dans l’expression de chaque message des Béatitudes.

La 1ère Béatitude : << Heureux les pauvres en esprit >>, applique sans tarder le système antithétique, en lançant le chœur terrestre dans une cavalcade de triolets (a) contre-motif d’un motif fuyant (b) décrivant la poursuite de la richesse, par les partisans de l’anti-béatitude.

Succédant aux ténors et aux basses, les sopranos dansent sur un rythme de 6/8, << Au sein du plaisir (a) et de la richesse (b) Une âpre tristesse (a’), remplit notre cœur (b’)" en prenant bien soin d’altérer la 2ème partie par des quintes diminuées et un mouvement descendant.

Même avec ce souci de coller aux mots du poème, qui se manifestera dans l’ensemble de l’œuvre, il faut le dire tout de suite, le piège du système se referme autour de la volonté descriptive de Franck. Aucun drame authentique ne surgit de cette fébrilité qui ressasse le texte, longuement, avec reprises comme dans l’ancienne coupe de l’aria.

C’est avec soulagement que l’on entend le motif des Béatitudes introduire la voix du Christ sous le contre-motif (c) du prologue. Sur un léger balancement rythmique (d) se proclame le message : " Heureux l’homme épris des biens véritables ", avec la quinte descendante du motif des Béatitudes en s’affirmant majestueusement. Franck y retrouve sa jubilation intérieure si particulière.

Le chœur céleste reprend ce thème, d’abord en choral, puis en sujet de fugue montant des basses aux sopranes, et qui atteint le sommet de sa tension grâce au chromatisme, jusqu’à l’apaisement de la fin.

 
 


Deuxième Béatitude

La 2ème Béatitude : << Heureux ceux qui sont doux>> est illustrée dans son introduction, par un motif au hautbois (a) calme et modeste, antécédent d’une autre idée aux violons (b) qui frémit de passion contenue, et qui va se briser sur trois accords de sixte napolitaine (c).

Un petit développement sur ces deux motifs, accentue encore leur contraste, et crée un climat assez sombre.

Le chœur terrestre enchaîne sur un long thème repris en sujet de fugue, par chaque voix, des basses aux sopranes. Puis le motif (a) est pris dans la tourmente de figures rythmiques de plus en plus furieuses (d) tandis que le thème éclate dans toutes les voix. Suit une lamentation : << Pauvres humains >> un peu larmoyante, mais d’une belle sonorité, avec ses quatre solistes dialoguant avec le tutti du chœur.

Ici encore, la longueur du développement amoindrit l’intérêt que l’on peut prendre à cette complainte. Le motif des Béatitudes accompagnant l’arioso de la voix du Christ, souffre de ce voisinage et accuse une disproportion avec ce qui précède. Il conclut sur la tendre descente (e) du prologue.

 
 


Troisième Béatitude

C’est dans la 3ème Béatitude : << Heureux ceux qui pleurent >>, que l’on a le droit de se montrer le plus perplexe, face au tableau "saint-sulpicien" du poème de Mme Colomb. Une procession s’ébranle : << Reine implacable/ô douleur etc. >> dans le goût héroïco-funèbre de l’époque (qui n’a rien à voir avec la magnifique << pièce héroïque >> pour orgue de 1877.) Suit une petite mise en scène où une mère, un orphelin, un époux et une épouse, pleurent à tour de rôle, un être cher disparu prématurément. Même si l’orphelin est parfois émouvant, on ne peut que rester insensible devant tant de simplisme, à la fois littéraire et musical. La marche funèbre reprend comme un refrain. Puis s’agitent les esclaves, et les penseurs plus grandiloquents que nature, avant de retrouver, de plus en plus fracassante, cette << reine implacable >> qui ne cesse de distiller pendant un long moment, un implacable ennui.

C’est là que, pour la 1ère fois, le motif des Béatitudes devient la mélodie de la voix du Christ : << Heureux ceux qui pleurent car ils seront consolés >> . Le chœur céleste répète le message sur un délicat balancement harmonique et une décoration arpégée en double-croches (a) et (b). Ce chœur a au moins le mérite de nous restituer la foi simple et vraie de Franck.

Notons seulement que ce thème (b) n’est que la reprise en majeur du thème en mineur de la << reine implacable >>.

 
 


Quatrième Béatitude

Une autre consolation, mais du point de vue musical, nous attend dans la 4ème Béatitude  : << Heureux çeux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. >> Une aria confiée au ténor va remplacer pour notre bonheur, le chœur d’en bas... une aria complètement libérée de la forme baroque. La longue introduction orchestrale oppose les deux parties du message. D’abord, l’expression désolée de la faim et de la soif de justice, puis un étonnant climat paradisiaque évoquant la promesse du rassasiement.

Le premier motif antécédent (a) sur un rythme haletant (b) aux intervalles distendus, est suivi d’un conséquent (c) encore plus écartelé et douloureux.

L’antécédent (a) prend une figure désespérée (a’) et aboutit à une coda qui peut être ressentie comme un cri d’angoisse (d).

A ce cri répond un prodigieux moment musical, d’une inspiration débordante dans laquelle la sensibilité et la spiritualité sont intimement mêlées, et cela grâce à un simple motif (e) de trois notes nourries d’harmoniques aidées aux violons, se reposant sur une tendre ondulation (f).

Après des instants de suprême tension, les motifs (c) et (a) puis (a’) et (d) et (c) ei enfin (f) se parent des couleurs les plus chatoyantes, pour enfin s’étaler avec (e) et accueillir le chant du ténor.

Malgré un texte assez plat, le chant se développe souverainement, accompagné par l’ensemble des motifs. << Viens ! Viens ! >> crie le ténor, et c’est l’extase, jusqu’au silence.

Introduite par le motif du rassasiement (e), la voix du Christ se repose sur un balancement d’accords de septième, comme sur un lac de lumière (g) tandis que le motif des Béatitudes, s’y reflète trois fois en véritable apparition réconfortante.

 
 


SOMMAIRE :

 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 1ère partie (présentation générale)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 2ème partie (Béatitudes de 1 à 4)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 3ème partie (5ème et 6ème Béatitudes)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 4ème partie (7ème et 8ème Béatitudes)

    Jean ROBERT
    Compositeur et professeur de composition musicale. Il a fondé en 1987 l’école associative "Les Ateliers de Création Musicale" à Yvry (94200).
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