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Tessiture des voix

"Je voudrais savoir si, en composant la partie vocale d’un lied (cours 59), on peut aller au-delà de la tessiture des cours de contrepoint. Dans ses lieder pour soprane ou ténor, Schubert emploie le sol aigu, un ton au-dessus de la limite ré-fa imposée dans les exercices de contrepoint. Peut-on en faire autant ?"

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Oui, la partie vocale d’un lied peut en effet dépasser les limites de tessiture dont nous tenons compte dans nos exercices de contrepoint. Encore faut-il le faire avec circonspection.

En contrepoint, nous écrivons pour chœur - et il est important d’en connaitre les possibilités et les limites vocales, d’où la contrainte de respecter les limites d’une tessiture moyenne. Elle vous assure que vos choristes seront à l’aise pour chanter votre musique, et qu’ils seront en mesure de donner le meilleur de leur possibilités vocales pour un rendu musical optimal. Il s’agit là finalement d’une première approche de l’instrumentation : par l’écriture pour l’instrument qu’est la voix. Ci-contre en bleu, sont notées les limites des tessitures vocales au-delà (et en-deçà) desquelles les résultats sonores obtenus par des chanteurs peu entraînés, ne sont pas garantis. Il convient de leur éviter à tout prix une fatigue vocale, très rapidement atteinte par des notes tendues : tous les chefs de chœur vous le diront !

Avec le lied, la partie vocale est chantée par un ou une soliste. La tessiture de soliste est naturellement plus étendue, et les ressources de la voix solo innombrables.

Dans l’aigu, on peut monter jusqu’au la pour une voix moyenne (cf "mezzo"), et il s’agit d’une limite conseillée pour votre lied, qui vous permettra de trouver facilement dans votre entourage une voix capable de chanter votre partition. Mais une soprano léger peut atteindre le contre ut sans difficulté. Toutefois, cette possibilité doit être envisagée avec une certaine prudence. En effet, plus la voix monte et plus elle devient tendue et plus devient difficile la prononciation des syllabes. Ce phénomène est légèrement atténué chez les hommes (il y a peut être un ton de différence). Pour une soprane ou pour un ténor, la prononciation d’un texte chanté est aisée jusqu’au do dans la portée (c4), voire le ré. Elle devient rapidement difficile en atteignant les notes supérieures à ce registre, proportionnellement à la présence de consonnes. A partir du fa, il faut s’interroger sur la rapidité syllabique de la phrase, car elle risque d’être escamotée. Il faut savoir également que les syllabes ouvertes sont plus faciles à prononcer dans les aigus. Ce sont d’ailleurs les seules utilisables pour les vocalises du registre suraigu. Seule la voyelle "A" laisse à la chanteuse la possibilité de monter très haut.

Vous trouverez de nombreux exemples dans la musique d’opéra ou religieuse de Mozart. Il écrivait souvent pour des solistes particuliers dont il connaissait bien les capacités vocales, et adaptait son écriture en fonction de celles-ci, mais en prenant toujours soin à ce que les prouesses vocales demandées ne nuisent pas à la musicalité des lignes.

Dans ces lieder, Schubert est très attentif à ces tessitures. Il est au service du texte.

"Il est évidemment bien des manières de traiter les voix, suivant la nature de la phrase et de l’œuvre. [...] Car, vous le savez, si vous avez fait du contrepoint : une phrase "chante", ou ne "chante pas". Elle peut être belle, et peu vocale : si vous décidez de l’écrire, que ce soit consciemment ; et sachez que l’interprète y éprouvera certaines difficultés. Il convient que ces difficultés ne soient pas insurmontables. Elle proviendront de la ligne, des rythmes parfois, des intonations surtout [1], et même des harmonies de l’accompagnement. nous dit Charles Koechlin dans son "Traité de l’orchestration", au chapitre de "la voix humaine".

En conclusion donc, restez vigilant en écrivant votre premier lied, et efforcez-vous d’appliquer ce que vous avez appris dans nos cours de mélodie et de contrepoint, et ce que votre professeur a précisé dans vos corrections. Vous y retrouverez tous les éléments compositionnels d’une écriture "chantante" pour votre soliste. N’hésitez pas à chanter les mélodies pour vous rendre compte de leur intérêt ou de leur difficulté. Bien-sûr, la connaissance approfondie de la voix chantée vous permettra d’améliorer encore vos phrases. La lecture du chapitre de Koechlin cité plus haut vous sera très utile.

Notes

[1] quarte augmentée, septième mineure diminuée, et autres grands intervalles = danger pour des chanteurs non entraînés !

  • voix
Jean-Luc KUCZYNSKI
Jean-Luc KUCZYNSKI est compositeur et professeur de composition musicale depuis 1988 aux ACM et depuis 1999 à l’école d’écriture et de composition Polyphonies.
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