Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

Evolution du contrepoint (partie III) : L’école franco-flamande et l’émergence du sentiment harmonique

Les 15ème et 16ème ont été pour toute l’Europe (particulièrement l’Angleterre, les pays flamands, la France et l’Italie) un prodigieux âge d’or de la polyphonie vocale dont le prestige est tel, aujourd’hui encore, que l’on a tendance à désigner par « musique polyphonique » la seule musique vocale des ces deux siècles de perfection" affirme Roland de Candé. En retraçant l’évolution du contrepoint, nous avons voulu que ce dossier donne sens aux études que vous entreprenez aujourd’hui, élèves de Polyphonies, que vous puissiez les replacer dans leur contexte à la fois historique et musicologique. Comprendre l’apport du contrepoint dans la musique occidentale, situer ses enjeux, et par là-même les raisons de l’étudier encore, nous paraît important. Ce dossier, s’il parvient à vous y aider, aura rempli sa fonction. Lire la suite


SOMMAIRE DES DOSSIERS

- partie I : de l’organum au motet médiéval
- partie II : de de l’isorythmie au canon.
- partie III : L’école franco-flamande et l’émergence du sentiment harmonique


I L’ART DE LA CONSONANCE

Nous voilà au XVe siècle. Dans le monde musical d’alors, la « contenance angloise », introduite sur le continent par Dunstable (v1390†v1453) et Dufay (v1400†1474), fait éclore sur l’Europe l’incomparable suavité de l’école franco-flamande. La guerre de Cent ans déplace la vie créatrice du Royaume de France vers les régions du Nord, vers le duché de Bourgogne où les arts sont largement favorisés en de nombreuses villes, de Dijon à Anvers, en passant par Cambrai ou Arras, Saint-Quentin ou Bruges. Musiciens flamands, français, bourguignons et anglais s’y rencontrent, échangent et diffusent des musiques nouvelles. Au cœur de cette effervescence culturelle, ils dépasseront les limites de l’Ars nova pour porter la polyphonie et l’art du contrepoint à ses plus hauts sommets.

Jusque là, la dissonance est traitée avec une certaine approximation. Dans une mesure, le posé doit toujours être consonant, et seul le levé, temps faible, peut comporter des dissonances. Mais en fait, les déplacements rythmiques, les hoquets et les mélismes, se complexifiant toujours, escamotent souvent cette règle. On admet même parfois que la dissonance soit attaquée directement. Mais les musiciens franco-flamands y apportent maintenant plus d’exigence. Dunstable, Dufay et Binchois (1400 † 1460) préparent systématiquement leurs dissonances comme note de passage règlementée entre deux consonances, toujours au levé, et appelée « dissonance syncopale ». Lorsque la dissonance est au posé, et préparée sur la même note, elle devient le retard, dont la polyphonie renaissante fait l’un de ses procédés favoris. Pour plus de « musicalité » la résolution du retard doit s’effectuer de préférence sur une consonance imparfaite, tierce ou sixte, afin d’éviter un contraste trop marqué entre une consonance parfaite et la dissonance qui la précède. On s’efforce également de donner des indications d’ordre rythmique : la durée de la résolution, par exemple, doit correspondre à la moitié du retard lui-même. Les règles que nous voyons au cours 19 en mélodie et cours 24 et 25 en contrepoint en sont directement issues. C’est à la « contenance angloise » que nous devons aussi l’évolution de notre sens de la consonance, par l’emploi systématique qu’elle fait des tierces et des sixtes, considérées comme consonances imparfaites sur le continent. C’est à cette époque que ces intervalles s’émancipent définitivement.

II PLEINITUDE DE L’ECRITURE MELODIQUE

Apportant une plus grande souplesse dans la mélodie et dans le rythme, les musiciens anglais généralisent le contrepoint imitatif en reprenant un même motif mélodique successivement aux autres voix. Le schème est né. Et bien sûr, alors que le contrepoint du XIVe siècle ne se préoccupait que du rapport des différentes voix avec l’une seule d’entre elles, le plus souvent le ténor, on cherche maintenant à développer ces rapports de consonance dans l’ensemble des parties. Les théoriciens prennent en considération d’autres techniques contrapuntiques que le style « note contre note » patiemment élaboré jusqu’alors. Tous les procédés d’imitation dont le germe existait déjà chez Machaut, sont portés à un un degré de perfection admirable : l’augmentation, la diminution, les mouvements contraires, rétrogrades, etc., procédés d’imitation des schèmes qui constituent l’essentiel de vos études d’écriture.

Tout en affinant le goût de la consonance, l’élaboration de ces techniques contrapuntiques autorise une démultiplication des voix, qui atteint des sommets : trente six dans Le Deo Gratias d’Ockeghem (1430 †1495 ou 1496), et même quarante voix dans l’admirable Spem in alium de Tallis (1505 † 1585) !

La disposition des voix se précise pour s’adapter aux nouvelles contraintes sonores et acoustiques qui résultent de cette démultiplication des parties vocales. On établit les quatre voix principales, aux ambitus équilibrés :

- cantus (ex déchant) qui deviendra le soprano

- altus (contraténor altus) qui deviendra l’alto ou haute-contre

- ténor qui deviendra notre ténor

- bassus (contraténor bassus) qui deviendra la basse

Cette nouvelle disposition impose son équilibre harmonique. Les bonnes tessitures des différentes parties se complètent parfaitement. L’importance équivalente des voix est gagnée, et avec elle le sentiment harmonique se précise. L’emploi du bassus est essentiel à cette évolution : il devient le soutien de l’édifice sonore, parce qu’il accroît la force des tensions et détentes mélodiques comme celle des cadences tonales. Son rôle fonctionnel accroît considérablement la cohérence harmonique de l’ensemble. Par ailleurs, l’écriture à 4 ou 5 parties, peu fréquente jusqu’alors, devient la norme. Un peu plus tard, dans la 1ère moitié du XVIème, elle se stabilise autour de 4 parties dans le style polyphonique classique : deux parties aiguës, voix de femmes ou d’enfants, et deux parties graves, voix d’hommes.

La multiplication des voix impose l’utilisation de plusieurs chœurs, dont l’écriture est alors traitée en canon. D’ailleurs, le siècle atteint l’apogée de cette forme : notamment avec Josquin des Prés (1440 †1521 ou 1524) qui réalisa même sa messe Ad Fugam entièrement en canon, sans emprunt extérieur. On peut citer également la Missa Prolationum d’Ockeghem, dont Brigitte et Jean Massin nous disent : « Étonnante gageure que cette messe, bien évidemment sans cantus firmus emprunté, et dont la polyphonie à 4 voix est engendrée par une double lecture rythmique des deux seules voix écrites. Chacune des deux voix est pourvue de deux signes rythmiques différents qui donc permettent d’aboutir, en fonction des règles du temps, à des durées d’extension différentes des notes. A cela s’ajoutent d’innombrables canons énigmatiques, comme celui du Christe (Pausans ascendit perunum tonum) qui invite le chanteur qui fait pause à prendre la relève, mais un ton plus haut, de celui qui vient de chanter la phrase écrite. Le plus surprenant dans cette entreprise est l’éminente qualité d’une polyphonies obtenue à partir de tant de cérébralité. La difficulté est à ce point transcendée que nulle part ne transparaît l’effort. Puissance de conception hors du commun qui par-delà les siècles rapproche étrangement Ockenghem de Jean-Sébastien Bach !  ».

L’écriture en canon nécessite la maîtrise d’une technique très difficile, le contrepoint renversable : on appelle ainsi une mélodie dont l’accompagnement peut être écrit sans inconvénient ni incorrection indifféremment au-dessous ou au-dessus de cette mélodie. Ce procédé permet la réalisation des contre-sujets de fugue par exemple. Il existe des contrepoints renversables à deux, trois et quatre voix, la difficulté croissant avec le nombre de voix. La quinte étant une dissonance dans ce type de contrepoint (puisque renversé, il devient une quarte forcément dissonante), les seuls intervalles consonants utilisables sont la tierce et la sixte. Vous abordez cette technique exigeante dès le cours 31 avec l’étude du contre-schème, en fin de niveau II.

Notons ici qu’il revient à Jean ROBERT d’avoir regroupé, organisé, formalisé, pour leur enseignement, ces techniques complexes issues de la Renaissance et enrichies par les apports harmoniques des époques suivantes, et les avoir refondues dans un apprentissage cohérent de l’ensemble des procédés d’écriture musicale. Cela mérite d’être souligné... Lorsque l’on écoute l’extraordinaire richesse musicale que ces techniques ont apporté en leur temps, leur étude aujourd’hui nous semble indubitablement essentielle. Nous en verrons d’ailleurs l’héritage dans nombre de chefs d’œuvre ultérieurs, jusqu’à nos jours ; cela fera l’objet d’articles à venir.

III L’ÉMERGENCE DU THEME MUSICAL

Autre signe des temps : dorénavant dans la musique religieuse, le cantus firmus, tenu par la voix la plus aiguë, la teneur (on le trouve encore aujourd’hui dans certains traités de contrepoint où il désigne le chant donné !) pourra être n’importe quelle chanson populaire, et même le plus souvent être complètement inventé de toute pièce, comme dans la messe parodique, probablement dénommée ainsi parce qu’elle contrefait, en quelque sorte, le texte liturgique initial. Rappelons que dans le motet médiéval, le ténor liturgique servait de guide au contrepoint des autres voix, et qu’il était réalisé en valeurs longues, peu rythmées, et répété sans modification jusqu’à la fin. Mais au XVème, le cantus firmus devenu profane perd son caractère prédominant et se fond dans l’ensemble polyphonique, au profit d’une plus grande initiative des voix supérieures. Dans la messe paraphrase, il passe même en imitation d’une voix à l’autre, retirant au ténor son importance traditionnelle. Sa partie est parfois si raccourcie que l’on peut penser qu’elle est tenue par un instrument, étant trop brève pour comporter un texte qui ne pourrait être énoncé entièrement. Le cantus firmus n’est plus la mélodie principale de l’édifice polyphonique, mais il en devient l’infrastructure, le fil conducteur. Son principe survivra au grandes formes de polyphonie vocale, et on le retrouvera dans la « basse obstinée » des chaconnes et passacailles baroques.

Alors que les messes grégoriennes étaient constituées de groupements composites et fortuits sans aucun lien thématique ni de tonalité, les messes unitaires de la Renaissance présentent maintenant des pièces de l’ordinaire organiquement liées, comme un tout, par le cantus firmus qui leur donne son nom.

Prenons le cantus firmus de « l’Homme armé », révélateur de l’émergence du thème en musique, et qui sera utilisé largement par les compositeurs de l’époque pour écrire les messes unitaires du même nom. Il s’agit de la mélodie profane d’une chanson très populaire au XVe siècle, et qui est un appel à s’armer contre l’ennemi qui approche :     L’homme armé doit-on douter / Craignez l’homme armé !

On a fait partout crier /On a fait partout dire

Que chacun se viegne armé / Que chacun s’en vienne armé

D’un haubregon de fer. / D’un haubergeon de fer.

 L´Homme Armé : cantus firmus


et le KYRIE de la messe unitaire du même nom :

Cette mélodie inspirera Dufay, Ockeghem, Josquin des prés, Jacob ObrechtPalestrina , ainsi que Antoine Busnois (v.1430†1492), Pierre de La Rue (1450†1518), Cristobal de Morales (1500†1553), jusqu’à Giacomo Carissimi (1605†1674). Dufay initie dans sa messe unitaire à 4 voix ce que les musicologues allemands appellent le Kopfmotiv ou "motif de tête", qui fait débuter toute section, ou sous-section musicale, par un même élément mélodique au cantus, recevant un contrepoint identique à chaque présentation dans la voix de l’altus. Dans sa dernière messe «  Ave Regina Coelorum », Dufay étant son système de Kopfmotiv à l’ensemble des 4 voix ; si bien qu’il est possible de parler pour cette messe d’un noyau initial de 9 mesures ternaires qui sera retrouvé sans la moindre variante au début de chacune des sections. La génération suivante fera de ce Kopfmotiv un élément thématique susceptible sinon de développement, du moins de réemploi.

IV LA LIBERTE CONQUISE

Le motet de la Renaissance, quand à lui, désigne maintenant des pièces musicales assez dissemblables. Le savant motet isorythmique perdure. « Ce sont de vastes architectures, de la construction la plus savante, où s’expriment le plus clairement les capacités d’organisateur du concepteur » nous disent les Massin. Si on y utilise encore l’isorythmie, elle évolue aussi vers une expressivité nouvelle : parfois les répétitions en diminution ou en augmentation de la talea, savamment maîtrisées, provoquent un sentiment d’accélération où rythme et forme peuvent se combiner de manière très expressive. D’ailleurs, on peut y voir les prémices de ce que nous nommons aujourd’hui le "schème musical" ; petite cellule mélodique et rythmique, souvent composée de quelques notes, et qui permet de développer le discours musical. Voilà une technique d’écriture essentielle aux études de composition, et que vous abordez dès la session 5 à Polyphonies : elle est en effet centrale pour apprendre à développer son discours mélodique.

Le motet isorythmique côtoie le motet-cantilène, plus simple et toujours lié à la liturgie, établit sur la voix supérieure accompagnée note contre note par les deux voix inférieures, sans pluri-textualité cette fois, pour une meilleure compréhension du texte. Ainsi sont travaillés psaumes, séquences, hymnes etc. Apparaissent surtout les motets de forme libre, que l’on prisera fort au temps de Josquin. Aussi bien religieux que profane, mais toujours en style contrapuntique ; le motet devient en quelque sorte un madrigal latin de caractère solennel. Les motets de Victoria (1548†1611) en Espagne rivalisent de majesté, d’expressivité ou d’inventivité avec ce qu’ont écrit de meilleur Palestrina (1525 ou 1526†1594) à Rome, Josquin Des Prés en Flandre, Roland de Lassus (1532†1594) à la cour de Munich ou William Byrd (1540†1623) en Angleterre...

Parallèlement à la messe et au motet, deux genres polyphoniques absolument nouveaux s’épanouissent. La chanson française, genre savant fait de varietas, est cultivé principalement par Janequin, Le Jeune et Lassus. Ce sont de grandes chansons ponctuées d’interjections, de cris, de paroles et d’onomatopées qu’on peut considérer comme les ancêtres de « la musique à programme ». En Italie, en dehors du répertoire léger des « villanelle », « frottole », qui sont des mélodies populaires traitées en contrepoint rudimentaire, apparaît une nouvelle forme du madrigal, qui sera, jusqu’au début du XVIIème siècle, la gloire de l’Italie et de l’Angleterre. Il opère une osmose entre la frotolla, chanson d’amour frivole, gentiment licencieuse, et de la polyphonie des maitres franco-flamands, qui dominent la vie musicale italienne. Le nouveau madrigal épouse le texte poétique, en s’autorisant une grande liberté formelle. « Le souci d’illustrer le texte se traduit par des traits descriptifs auxquels on a donné le nom de madrigalismes. Les premiers représentants du genre, et même Lassus dans une partie de son œuvre, s’amusaient à une sorte de symbolisme naïf consistant, par exemple, à faire monter la mélodie sur les mots « cielo » ou « alto », à la faire baisser sur « giù » (bas) ou « profondo », à placer les mots « sol » (soleil), « si » (oui), « mi fa » (me fait) sur les notes homonymes, etc.... La liberté se manisfeste par l’absence de forme fixe, de voix prépondérantes et par des audaces d’écriture qui trahissent un souci de « modernisme  » commente Roland de Candé. Les premiers grands madrigalistes italiens ou italianisants (A. Gabrieli, Philippe de Monte, Roland de Lassus, Palestrina...), écrivent à cinq voix, en utilisant évidemment l’héritage du grand style polyphonique vocal traditionnel. Mais leur écriture plus libre les amène à innover, notamment dans l’utilisation des successions chromatiques ou des modulations imprévues, manifestant déjà le sens harmonique qui prendra sa pleine mesure au siècle suivant. Le madrigal trouve également en Angleterre une seconde patrie, qui l’adopte et lui donne un caractère propre : Byrd, Morley, Gibbons, mais surtout Weelkes (1575-1623) et Wilbye (1574-1638) mêleront avec fantaisie le folklore à leur sensibilité « impressionniste », et élèveront le genre à une perfection toute britanique.

V LE SENTIMENT HARMONIQUE

Le style vocal de la contenance angloise est tant perfectionné, avec la pureté des ses lignes horizontales, sa suave consonance, l’indépendance des parties toujours plus nombreuses et harmonieuses, où nulle mesure ne ressemble à une autre, qu’il force si l’on peut dire une écoute harmonique de l’ensemble. On trouve un incroyable élan autant mélodique que rythmique, qui donne un effet d’ampleur à chacune des phrases, sans coupures ni répétitions. La ligne mélodique s’étend sans s’interdire les notes tenues mais non stagnantes, repos momentanés qui rendent la perception plus distincte des accords produits, inscrits dans un mouvement d’ensemble aux amples courbes. De plus en plus, les rencontres verticales semblent perçues comme des entités compactes émanant d’une fondamentale grave et enchaînées en vertu d’une logique particulière que l’on s’appliquera à codifier plus tard, avec les règles de l’harmonie tonale.

« Plus encore que dans les messes, c’est dans les motets de Dunstable qu’apparaît de toute évidence le souci d’une euphonie très nouvelle provoquée par l’usage très appuyé d’accords de sixtes enchaînés qui semble gommer quelque peu l’intérêt porté par les continentaux au jeu des lignes : l’impression qui prévaut est -curieusement déjà- celle d’une harmonisation. Qu’on en juge par le très beau « Quam pulchra es » où l’ensemble de la polyphonie accepte de calquer sa démarche sur la déclamation de la voix supérieure  » précisent les Massin.

Si l’accord au sens moderne du terme n’est pas encore pleinement théorisé, il est déjà valorisé intentionnellement, comme chez le grand Dufay dans le Kyrie de sa messe Ecce ancillia domini, copiée en 1463 dans les livres de chants de la cathédrale de Cambrai. Ce Kyrie se termine d’étrange façon, qu’on peut qualifier d’harmonique : chacune des semi-brèves est, dans chacune des quatre voix évoluant de façon parfaitement homorythmique, surmontée d’un punctus coronatus (point d’orgue), ce qui accentue encore l’impression d’enchaînement d’accords. Il en est de même pour les Amen du Gloria et du Credo, très brefs, qui se présentent également sous forme d’accords, triades complètes, surmontés chacun de ce point d’orgue, les contraténors se divisant pour faire apparaître la tierce. Plus tard, Roland de Lassus dans ses Lamentations de Job, ose lui aussi de la sorte, des audaces harmoniques étonnantes pour l’époque.

Le sentiment harmonique s’épanouit véritablement quand l’écriture contrapuntique est à sa plénitude : l’époque en témoigne. Soulignons au passage que Zarlino dans le 3ème tome de son traité «  Istitution harmoniche » (1589) sera le premier à présenter une théorie complète du contrepoint, pour laquelle il se réfèrera au style de la polyphonie franco-flamande (préconisant déjà, disons-le au passage, la primauté des mouvements conjoints plus faciles à chanter : les conseils de votre professeur de composition ne datant pas d’hier !). De la science du contrepoint naîtront au XVIe les principes qui régissent la marche de chaque voix dans une succession d’accords (interdiction de parallélismes de quintes ou d’octaves par exemple).

Il est clair que si les règles du contrepoint ont été explicitées avant celles de l’harmonie, les deux disciplines sont cependant indissociables, l’aspect vertical d’un travail contrapuntique étant nécessairement conforme aux lois de l’harmonie. Ainsi, Pierre Boulez explique : « J’ai travaillé le contrepoint en même temps que l’harmonie... deux disciplines qui doivent rester étroitement liées, car harmonie et contrepoint ne sont que les deux aspects fondamentaux de toute écriture polyphonique... Ce qu’il faudrait, c’est enseigner aux élèves toutes les disciplines de la polyphonie.  » A bon entendeur...

Tous les genres connus à l’époque atteignent peut-être leur sommet dans l’œuvre de Roland de Lassus, dont le génie éclectique porta chacun d’eux à la perfection : dans son grand motet à 12 voix « Laudate Dominum » , il atteint le maximum de la complexité polyphonique. Plénitude de la polyphonie, perfection du contrepoint... C’est bien plus tard seulement que ces deux notions se différentieront entre elles, soit au moment ou le contrepoint prendra l’allure d’un entraînement scolaire et impliquera un style et des règles qui ne seront plus ceux de la composition libre. Mais jusqu’au XVI ème inclusivement, le style polyphonique contrapuntique constitue la seule technique utilisée, du moins pour la musique vocale, et les règles du contrepoint sont celles de la composition elle-même.


SOMMAIRE DES DOSSIERS

- partie I : de l’organum au motet médiéval
- partie II : de de l’isorythmie au canon.
- partie III : L’école franco-flamande et l’émergence du sentiment harmonique


Sources bibliographiques

-  « Histoire de la musique occidentale », Brigitte et Jean Massin, Fayard

-  « Le nouveau dictionnaire de la musique » de Roland de Candé, Fayard

- « Dictionnaire du musicien » Marc Honneger, Larousse

- http://www.collegeahuntsic.qc.ca/pagesdept/hist_geo/Atelier/Parcours/Muse/Renaissance/renaissance.html#francoflamand

Liens complémentaires

- « Nicolas Gombert et l’aventure de la polyphonie franco-flamande » Par Paul Van Nevel (Google book)

-  « Traitement des dissonances et progressions harmoniques » de Christophe GUILLOTEL-NOTHMANN

- Sur Obrecht et son temps « adieu des mamours » 

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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