Le blog de Polyphonies, école à distance d’écriture musicale et de composition.

Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 4ème partie (7ème et 8ème Béatitudes )

La 7e Béatitude : "Heureux les pacifiques... !" débute par une aria de basse, campant le personnage de Satan. Le motif (a) antécédent, le décrit sous une forme sinueuse comme celle d’un serpent, et cette ondulation chromatique établit un climat de profonde inquiétude. Voilà un thème qui ne doit rien aux marches funèbres ni aux danses macabres de l’époque. Le motif (b) conséquent, s’élague au contraire, agressif et éclatant. Lire l’article


SOMMAIRE :

 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 1ère partie
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 2ème partie (Béatitudes de 1 à 4)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 3ème partie (5ème et 6ème Béatitudes )
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 4ème partie (7ème et 8ème Béatitudes )


LIENS UTILES :


Ces deux motifs vont s’imiter et se développer dans une atmosphère presque atonale, tandis que le chant satanique étend sa domination sur plusieurs octaves, sous le fracas des cuivres.

Comme le chevalier de l’apocalypse, Satan enfourche sa monture avec ce rythme galopant qu’affectionne décidément le compositeur lorsqu’il s’agit de suggérer les lieux d’en bas. Mais pour la première fois dans cette œuvre, il le maîtrise à la perfection, nous donnant enfin un tableau d’une grande force tragique.

Cette fureur se brise sur le motif des Béatitudes accompagnant la voix du Christ. Celle-ci au lieu de s’élever, s’abaisse humblement, comme blessée par cet assaut. Remarquons la chute de la quarte diminuée au lieu de la quinte, pour en accentuer l’aspect douloureux.

Les pacifiques du chœur céleste, sur un rythme doucement syncopé nous font le cadeau d’un magnifique quintette qu’il faudrait décrire dans ses moindres détails. La première basse, puis le soprane, puis la seconde basse, enfin le ténor énonce sereinement et à tour de rôle : "Il n’est rien de fort que ce qui demeure..." Plusieurs motifs dont nous avions apprécié l’efficacité dans la 4ème Béatitude sont repris ici, mais inversés.

"Sans violence et sans faiblesse..." chante la basse en une vaste période, repris comme un sujet de fugue, par le ténor. L’alto ajoute un nouveau motif chromatique sur "l’œuvre de paix" et repris par le soprane. Une dernière idée plus bondissante dans cette même voix, évoque la guerre et la tyrannie tandis que la "fraternité" demeure calme sur deux noter conjointes.

Il est difficile de rendre compte sur si peu de place, de la richesse de cette polyphonie où les 5 voix se séparent, se rejoignent, se tendent et s’apaisent pour célébrer le "triomphe de l’Amour".


 
 

 
 

La 8ème Béatitude : "Heureux les persécutés" n’est que le développement de la précédente, et la continuité de la lutte qui s’est engagée entre Satan et le Christ. Nous retrouvons donc les deux motifs du personnage satanique, mais la présentation en est inversée, et ce qui était le conséquent devient le motif principal, en accentuant le caractère agressif.

Dans son chant, Satan comme il le dit "relève aussi la tête". Franck réussit à traduire sa présence destructrice, dans un tableau rythmique et harmonique inerte et glacé. C’est dans cette terreur que descend, comme la femme dans la vision de l’apocalypse de St Jean, la mélodie du chœur des justes, extraordinairement simple et belle, avec ses brusques minorisations comme pour en voiler l’éclat, mélodie enivrante qui justifie presque à elle seule, l’audition de cet oratorio (c) et (d).

"Il est doux de mourir pour toi" répète le chœur à satiété. Le texte pourrait nous faire sourire devant tant de candeur, mais la sincérité de la musique de Franck est telle qu’elle arrive à nous persuader d’une telle éventualité. D’ailleurs ce souhait est cassé, brisé par un accord de septième de sensible, qui fait passer brusquement de mi majeur à fa majeur (e). Satan reprend son combat, plus fuyant et plus sombre que jamais (f).

Cette joute inexorable entre la violence et la non-violence, prend ici toute sa force. Le principe mythique des lieux d’en bas et des lieux d’en haut qui figeait souvent le drame par son abstraction, dans les autres Béatitudes, devient un lieu vivant de confrontation, symbole de tous les combats spirituels, et des "nuits" mystiques vécues par les "justes" de tous les temps.

Changement de décor et d’atmosphère : un motif enveloppant et triste s’enroule sur lui-même (a) : c’est l’apparition de la "Mater dolorosa" la mère douloureuse, Marie au pied de la croix, Marie dont le cœur est transpercé par sept glaives ; elle chante une complainte d’une grande variété de ton. Après une introduction en mouvement descendant complètement éploré (b) le motif (a) dialogue avec un chant tantôt exalté, tantôt abandonné (c).

Puis l’orchestre ramassant et liant dans un bouquet, les idées principales de cette aria, traduit l’offrande des souffrances et le sacrifie de Marie à travers une jubilation progressive qui éclate dans les lumières des cordes et des cuivres.

C’est dans cette lumière que Satan est obligé de s’avouer vaincu. Alors, la voix du Christ se répand comme un fleuve pour proclamer le dernier message des Béatitudes. L’arioso nourrit du motif des Béatitudes l’amplifiant dans une variation rappelant l’atmosphère paradisiaque de la quatrième Béatitude.

Le chœur céleste entonne l’Hosanna, un Hosanna où l’on remarque à nouveau la modulation par tierces de ré majeur, à fa# majeur, puis de mib à sol majeur, de mi majeur à do majeur etc. Enfin, l’Hosanna soutenu par un motif plus guerrier, dont le dessin est à l’inverse de celui du motif des Béatitudes, invite peut-être les hommes, à continuer le combat jamais terminé, de la foi contre les forces du mal.


 
 

 
 

Ce survol des huit Béatitudes, qui s’est efforcé d’être le moins technique possible, a fait tout de même la part belle à la présentation des motifs. Ils portent en eux en principe, la symbolisation d’une attitude spirituelle et sensible face au message du Christ. Cette analyse délaisse par la force des choses le tissu harmonique et contrapuntique de l’écriture franckiste. Celle-ci progresse d’ailleurs, tout au long de l’œuvre en densité et en diversité, notamment du point de vue de la modulation. Le choix des tonalités est souvent lié, comme chez Bach, à des intentions descriptives et symboliques. Le ré mineur, le mi mineur, le do mineur avec leurs tonalités bémolisés correspondantes, conviennent bien aux expressions dramatiques, ainsi que le si et le la mineur plus nostalgiques. Par contre le ré majeur, le mi majeur, sont employés dans des états de bonheur jusqu’aux manifestations glorieuses du fa# et du do majeur. Je n’ai pas besoin d’insister sur la subtilité du mélange majeur/ mineur qui devient extraordinaire dans les dernières Béatitudes. Quand aux lieux d’en haut et aux lieux d’en bas, nous avons vu Franck s’y embourber, surtout dans les trois premières Béatitudes ; mais grâce aussi déblocage du système dans le texte des dernières Béatitudes il maîtrise peu à peu, le principe antithétique, comme il le fera dans ses œuvres de la maturité, par exemple dans le quitette en fa mineur pour piano et cordes, contemporain de la huitième Béatitude.

Nous avons vu le motif des Béatitudes devenir le signal et le signe de la présence du Christ libérateur, mais il est aussi le témoignage de la fascination qu’éprouve Franck, pour la forme cyclique. Ce motif s’est développé dans une série de variations que l’on aimerait presque entendre bout à bout jusqu’à son apothéose dans la huitième Béatitude : "Venez les bénis de mon Père... ". On rêverait pareillement d’une variation continue de la voix du Christ, dont le plus beau compliment que l’on puisse lui faire, est qu’elle fait écho à la voix du Christ des passions et des cantates de J.-S. Bach.

 La version de référence ?

Il ne doit pas exister de nombreuses versions ; Les Béatitudes n’ont été que très peu enregistrées à ma connaissance. Celle que j’ai date un peu, mais elle est très intéressante. C’est bien-sûr une reprise de vynils ; je ne connais pas la date de l’enregistrement, mais le chef Jean Allain, la chorale Elisabeth Brasseur me semble dire que nous sommes vers les années 60 ou 70 ; le CD est de 1986. Peut-être y a-t-il une ou deux versions plus récentes.


SOMMAIRE :

 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 1ère partie
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 2ème partie (Béatitudes de 1 à 4)
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 3ème partie (5ème et 6ème Béatitudes )
 Les Béatitudes de CESAR FRANCK : 4ème partie (7ème et 8ème Béatitudes )

    Jean ROBERT
    Compositeur et professeur de composition musicale. Il a fondé en 1987 l’école associative "Les Ateliers de Création Musicale" à Yvry (94200).
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