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Dossier compositeur : Brian Ferneyhough

"Brian Ferneyhough est certes l’une des personnalités les plus énigmatiques de la musique d’aujourd’hui. Son œuvre, extrêmement complexe, est la concrétisation de raisonnements intellectuels qui trouvent leur fondement dans la pensée sérielle des années 1950-1960 et la bousculent pour construire un matériau à haute densité, base d’une expressivité radicale". Voici donc ce que nous avons collecté sur ce compositeur britannique, né en 1943, et qui a reçu cette année le très prestigieux prix Ernst von Siemens consacrant une oeuvre aussi envoûtante que controversée. Lire l’article

Biographie

 1943 : Naissance à Coventry (Angleterre). Il reçoit une première formation musicale dans un contexte populaire et folklorisant. Il joue dans les orchestres de fanfares ou brass bands avant de s’orienter très vite vers la composition.

 1961-1963 : Il obtient les diplômes d’éxécutant et d’enseignant à l’Ecole de musique de Birmingham.

 1966-1967 : Il poursuit des études de composition et de direction d’orchestre à la Royal Academy of Music de Londres.

 1968 : Après avoir étudié auprès du compositeur Lennox Berkeley, Brian Ferneyhough quitte la Grande-Bretagne. Lauréat du concours Gaudeamus pour les compositeurs, grâce à son oeuvre Sonatas pour quatuor à cordes. La musique de Ferneyhough connaît une audience de plus en plus large dès que le compositeur s’installe sur le continent.

 1969 : Brian Ferneyhough s’installe à Bâle pour y travailler avec Klaus Huber (1969-1971), dont il devient l’assistant comme professeur de composition à la Musikhochschule de Fribourg, Allemagne.

 1974 : La section italienne du SIMC décerne à Ferneyhough le Prix spécial du jury pour Time and Motion Study III, considérée comme la meilleure oeuvre, toutes catégories confondues.

 1973 : Ferneyhough devient professeur de composition à la Musikhochschule (1973 à 1986 ) ainsi qu’à Darmstadt (cours d’été depuis 1976). Il gagne la réputation d’un très grand pédagogue, à tel point que certains commentateurs ont voulu voir en lui une nouvelle figure du modernisme, et un maître regroupant autour de lui de nombreuses jeunes bonnes volontés, à la manière d’Arnold Schönberg. D’ailleurs, comme ce dernier, Ferneyhough s’affirme « responsable devant l’histoire », et déclare " ...j’enseigne parce que je n’ai pas reçu d’enseignement moi-même... ".

 1984 : Professeur de composition à Civica scuola di musica Milan 1986 Professeur principal de composition du Conservatoire royal de La Hague (Pays-Bas)

 Depuis 1989 : professeur de musique à l’université de Californie, San Diego.

 Depuis 1990 : il dirige la session de composition Voix Nouvelles à l’abbaye de Royaumont A partir de 1993 : il est invité en résidence à l’Ircam pour y enseigner la composition pendant trois mois, et également pour y mener des projets compositionnels.

 2007 : Brian Ferneyhough reçoit le Prix Ernst von Siemens le 3 mars à Munich, l’une des distinctions musicales les mieux dotées au monde avec ses 200.000 euros (le Prix Ernst von Siemens a récompensé des personnalités du monde de la musique aussi essentielles que Britten, Messiaen, Rostropovitch, Karajan, Serkin, Fischer-Dieskau, Stockhausen, Bernstein, Berio, Ligeti, Abbado, Pollini, Kurtág, le Quatuor Arditti, Harnoncourt, Brendel ou bien encore Dutilleux ).

Catalogues des oeuvres

 Œuvres choisies, avec partition (extraits) : Works available at the British Music Information Centre (bmic)

 Catalogue des partitions de Brian Ferneyhough disponibles aux Edition Peters

Brian Ferneyhough au Festival d’art contemporain, Royan 1970...

« La première rencontre avec lui, il y a trente ans, lors du festival de l’avant-garde musicale à Royan, au bord de l’Atlantique, fut marquante : ce jeune anglais de Coventry, âgé de 31 ans, se révélait être l’un des musiciens éminents de sa génération. Car il est alors, en prolongeant la modernité - celle de la voie Schönberg-Webern-Boulez - malgré les débuts du Postmodernisme, un compositeur et penseur de la musique qui a choisi comme programme la densité de l’expression et un constructivisme enflammé. Sérieux, d’un intellectualisme hautain, défendant son métier de compositeur et ses idées au sein de ce festival noyé alors sous les créations, cet élève de Klaus Huber à Bâle se fait immédiatement remarquer. L’année suivante, lors de l’éxécution d’un quatuor qui dure trois quarts d’heure, tout excité, on gribouille immédiatement : " ... des événements sonores simultanés d’une évidence bouleversante ". » (Wolfgang Schreiber Süddeutsche Zeitung, 27/05/04)

Brian Ferneyhough aujourd’hui : L’évidence, la précision sont toujours là... et l’ imprénétrable complexité.

« Brian Ferneyhough est un compositeur anglais dont l’oeuvre est marqué par une attention particulière à la complexité de la structure et de l’écriture de ses partitions. La densité des voix notamment dans les pièces pour quatuor en fait une oeuvre originale, riche et parfois difficile d’accès. Ferneyhough présentait une création commanditée par le SWR et Radio-France, Plötzlichkeit, ou “soudaineté”. Ensemble de petites pièces constituant le tout autour d’éclats soudains et de silences. Des voix de femmes sans texte particulier se fondent dans l’orchestre. Pas de transformation progressive, graduelle, plutôt des passages en saut, du type de ces discontinuités qu’on retrouve en mathématique ou dans certaines théories de l’évolution. "Plötzlichkeit" nécessite certainement une deuxième écoute pour en apprécier toute la richesse sonore. »

« Il est aujourd’hui surtout connu pour son association avec ce que l’on a appelé l’école de la nouvelle complexité qui, à l’encontre, d’autres tendances n’a pas tourné le dos au sérialisme mais a tenté, au contraire, de l’approfondir dans la direction de toujours plus de formalisme en y introduisant notamment la micro-tonalité, les structures asymétriques et la polyrythmie. Ce mouvement a surtout touché des compositeurs britanniques, mais il a eu une influence sur des compositeurs installés ailleurs dans le monde. Ce mouvement, fortement inspiré par des compositeurs comme Xenakis et Webern, se situe à l’opposé du mouvement vers l’improvisation que l’on rencontre chez beaucoup de compositeurs contemporains mais contribue, de la même manière, à une réflexion sur le rôle de l’interprète, de la partition et de son exécution.(...) Je le disais en commençant cette émission, Brian Ferneyhough est considéré comme l’un des pairs de cette école, surtout britannique, de la Nouvelle Complexité. Ses partitions, qui sont très difficiles à jouer, pour ne pas dire impossibles, ont suscité beaucoup de commentaires, souvent déplaisants. On a dit qu’il écrivait une musique que l’on ne pouvait pas entendre, on a parlé à son propos de sadisme et de masochisme à propos des interprètes qui tentaient de jouer son oeuvre ». (Bernard Girard sur Aligre FM 93.1 le 22/01/07)

« L’écriture de Ferneyhough ne se donne pas facilement ; elle demande une grande rigueur technique, mais dès qu’on y est entré, c’est comme si le chemin s’ouvrait le plus simplement qui soit, selon les instrumentistes qui l’abordèrent. Pour l’auditeur, c’est un peu la même chose : on se laisse facilement accrocher par un trait et l’on se retrouve dans une écoute passionnée ; en revanche, plus on croit y pénétrer, moins on la saisit. Cette musique se dérobe, entretient le mystère comme aucune autre. Quant au compositeur, il explique lui-même volontiers ses prisons, ses Carceri d’Invenzione par un exemple qui laisse rêveur : écrivant directement au propre, des erreurs s’intercalent parfois au fil de sa pensée sur la page ; les corriger peut consister alors à retravailler ses erreurs afin de les justifier après coup. Ainsi, la forme, au départ très préméditée, calculée, se trouve magnifiée par le hasard. Cela implique que la surprise, pour Ferneyhough, est intégrée à la pensée musicale aussi vite qu’elle surgit. Comme l’a dit Marc Texier, " ...le hasard est rendu nécessaire... ". » (Hervé Koenig)

Le flûtiste Pierre-Yves Artaud commente de manière fort éclairante une pièce de Ferneyhough pour flûte seule intitulée Unity capsule :

« Je crois vraiment que, dans ce cas, la pièce est rigoureusement inexécutable à 100%. Au ralenti, tout est faisable mais au tempo exact, cela devient impossible. Je sais que c’est dangereux de dire cela car, généralement, ce que l’on déclare irréalisable s’avère, 10 ans plus tard, exécuté par tout le monde ; mais il y a ici des limites physiologiques qui sont franchies, c’est donc très différent. De même que dans 300 ans je ne pense pas qu’on puisse courir le 100 mètres en 6 secondes [...] de même on ne pourra jamais jouer 18 notes à la seconde, qui plus est avec un mode d’attaque spécifique pour chaque note. Même avec une langue de lézard, on ne peut atteindre les 14 notes staccato par seconde : or Ferneyhough en demande parfois 18 ! Le contrôle demandé quant à l’embouchure est également utopique : comment jouer dans une échelle tempérée d’1/5 de ton quand le seul vibrato couvre 1/3 de ton ? [...]

Je peux donner un autre exemple de réalisation impossible qui tient cette fois à la rapidité de sélection des sons harmoniques. Une attaque dure environ 50 milli-secondes ; si on va au-delà de la durée du transitoire d’attaque (qui tient à la nature même de l’instrument) on ne peut plus, à une certaine vitesse, contrôler l’émission de l’harmonique. Ceci est encore compliqué par le fait que l’on ne peut, en jouant, contrôler quantitativement la pression d’air exercée : on ne la contrôle que qualitativement, par la bouche. Tout ceci indique bien que l’exécution intégrale d’une telle partition est une utopie. Il est sans doute également impossible d’entendre tout ce qui est joué mais on peut, sur ce plan, améliorer la perception d’une telle pièce ; par contre, du côté de l’exécution, on ne progressera guère. Cela n’a d’ailleurs pas grande importance car ce qui compte, je crois, est que l’instrumentiste reste en état de stress et de lutte par rapport à la partition. [...]

Quand je joue cette pièce, je me jette à l’eau, je plonge. C’est comme lorsqu’arrive une tempête sur un bateau : on voit bien qu’elle arrive mais on ne sait exactement comment elle va être. Il faut alors réagir à ce qui se passe et cela se fait de façon totalement inconsciente car tout va désormais trop vite et les choses imprévues ne cessent d’affluer. C’est seulement après, en se réécoutant, qu’on se dit : « Tiens j’ai fait ça ! ». »

Un peu plus loin le flûtiste se fait psychologue et tente d’analyser le lien entre la personnalité de Ferneyhough et son désir de créer des zones d’injouabilité :

« Ferneyhough a un intérêt très personnel pour tous les problèmes de rapidité de perception. Il est lui-même comme ça : il entend et pense très rapidement, son temps physiologique est très vif. Il est intéressé par les univers non établis, toujours mouvants. Il aime créer une relation entre la partition (donc le compositeur), l’interprète et le public qui soit d’une tension extrême et par là qui engendre la musique. Il veut tenir son interprète en état de stress permanent et communiquer cela au public. La rencontre de ces différentes tensions crée la relation musicale. »

Du bon usage de la complexité en composition

François Nicolas explique : "Pour Ferneyhough, il n’y a jamais que du multiple [...] Ainsi une simple note est l’ensemble d’une hauteur, d’une durée [...] , d’une intensité et d’une expression qui lui sont propres à l’égal du timbre parfaitement spécifique qui l’affecte."1 La maîtrise de cette quantité d’instructions, par note, constitue une première difficulté. La deuxième est liée aux enchaînements d’actions. La partition n’est que "superposition et interférences entre plusieurs couches d’activités". L’enchaînement est concrétisé par une ligne verticale reliant l’élément d’une portée à celui d’une autre portée. Ferneyhough précise dans les notes d’interprétation que les changements brusques, de registres, de textures, ne doivent pas constituer un obstacle dans le jeu de l’interprète. De cette densité d’information, découle inévitablement un jeu sélectif, ou approximatif. "Ferneyhough conçoit l’interprétation comme une décision."

Marc Texier, dans son texte intitulé « Quelques contrevérités sur l’oeuvre de Brian Ferneyhough » s’interroge à ce propos :

« Si l’harmonie, le rythme, la répartition des notes, des densités, des tessitures, le découpage en sections, obéissent strictement, dans toutes ses oeuvres, à de minutieux calculs préliminaires ; par contre la réalisation de sa musique est libre, suivant instinctivement l’idiosyncrasie du geste instrumental. Qu’il écrive pour flûte, guitare, violon ou clarinette, même si de semblables cribles, ou procédures d’engendrement ont donné naissance aux phrases musicales, celles-ci seront fondamentalement différentes parce qu’adaptées finalement aux spécificités articulatoires de l’instrument.

Tous les grands solistes qui ont interprété sa musique soulignent que passées les difficultés de lecture, de mise-en-place et de compréhension de la forme, la musique de Ferneyhough tombait naturellement sous leurs doigts. Surmonté l’effroi devant le grillage noir de ses énièmes de croches, et la surcharge diacritique de ses partitions, sa musique leur semblait non plus spéculative mais tactile, non plus calculée mais musculairement mimée.

C’est que la distribution des intensités, la mise en place des nuances, des modes de jeux, tout ce qui fait le phrasé de la musique : il le laisse à sa discrétion. C’est une liberté énorme que Ferneyhough s’accorde tout à coup relativement aux contraintes qu’il vient de s’imposer, et qui masque le squelette rigide par un libre modelé. C’est ainsi qu’il donne mouvement et grâce, qu’il plie la tresse des contraintes jusqu’à ce que sa musique redevienne fluide comme une natte coulant sur des épaules.

Nous retiendrons egalement du texte de Max Texier, son point de vue particulier concernant la relation entre Ferneyhough et la musique post-serielle :

« On voit dans l’oeuvre de Ferneyhough les derniers feux d’un post-sérialisme flamboyant. Mais c’est un contresens. Chez les sériels, l’oeuvre devait se plier à un strict déterminisme. C’est la boutade de Webern : « quand la série est choisie, la pièce est achevée », c’est-à-dire que la musique n’est rien d’autre qu’une construction déduite d’un ordre simple. Elle prolifère à partir d’une cellule germinative dont l’omniprésence tout au long de la pièce assure l’unité du discours. Dans la musique de Ferneyhough (où le degré de construction est équivalent, sinon supérieur) rien de tel : c’est le désordre qui fait le lit de l’ordre. Le hasard qui est rendu nécessaire. Parfois, à l’inverse, c’est par l’enchevêtrement des structures simples et prédéterminées qu’il génère le chaos, l’imprévisible. Son postulat est que la musique surgit de l’interférence et des collisions de vecteurs simples, linéaires, mais qui par leur nombre, leur superposition, leur intrication, génèrent des phénomènes non-linéaires et complexes, à la limite de la perceptibilité et de la prévisibilité... Sa musique est donc d’abord planifiée, mais immédiatement l’empilement des structures simples donne naissance à une réalité si chaotique que son devenir ne peut plus être prévu par le compositeur même. Ainsi va également notre monde selon la science contemporaine.

Il dialectise l’ordre et le désordre, écrivant une musique qui est à strictement parler anti-sérielle puisqu’elle est non-déterministe. »

Liens vers des extraits d’oeuvres

 Bone Alphabet ( « L’Alphabet des Os », video) Steven Schick percussion 2001 (Tracktime of Bone Alphabet : 15:10 - 23:40)

 Enregistrement : Carceri d’Ivenzione IIb (John MacMurtery, flûte)

Compléments et liens utilisés

ARTICLES MUSICOLOGIQUES

 « Quelques contrevérités sur l’oeuvre de Brian Ferneyhough » (Max Texier)

 « Éloge de la complexité » (François Nicolas)

 « Brian Ferneyhough et la fonction figurale en musique » (Alain Beaulieu)

 « L’exemple de deux oeuvres : Théraps de Xénakis, Trittico per C. S. de Ferneyhough »

 « A propos de Shadowtime ; l’intellectuel tragique » (Wolfgang Schreiber traduit de l’allemand par Martin Kaltenecker)

INTERVIEWS

 « in conversation with joshua cody »

 « interview » (avec video)

 « interview : Brian Ferneyhough on Music and Words »

 « interviews et différents entretiens » (traduit)

 « Théorie de l’écoute musicale : La chute d’Icare (1988) de Ferneyhough »

TEXTES DE FERNEYHOUGH :

 « Karlheinz Stockhausen » - par Brian Ferneyhough (témoignage) :

OUVRAGE :

BRIAN FERNEYHOUGH Textes réunis par Peter Szendy Cahiers de l’IRCAM

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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