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Aspiration et quête dans la musique de Mozart

Le thème ici abordé ne résulte pas d‘une réflexion ou d‘une étude personnelle. Il est le fruit du travail de Jean Victor Hocquard, l’un des plus grands spécialistes de Mozart. L’article repose sur des citations extraites de l’œuvre du musicologue et plus précisément de trois de ses livres. J’ai rassemblé les extraits les plus pertinents au regard de la thèse soutenue par l‘auteur. J’espère être ainsi parvenu à mettre en évidence tout l’intérêt de celle-ci. Lire l’article

Aspiration et quête dans la musique de Mozart

La musique de Mozart, depuis les compositions de jeunesse jusqu’à décembre 1791, est traversée par une constance : l’aspiration vers la sérénité, la paix, la joie, la connaissance.

Un obstacle peut toutefois apparaître. Cette aspiration à la sérénité est-elle en effet compatible avec celle du vouloir vivre que le compositeur sent bouillonner en lui ? Est-elle compatible avec la poussée vitale d’un homme conscient de sa valeur ? L’élan vital ne risque-t-il pas de comporter des éléments troubles : griserie, excès, démesure, exaltation, volonté de s‘imposer, désirs passionnels ?

D’où la question suivante : qu’elle forme l’aspiration à la sérénité (à la paix, à la joie...) doit-elle prendre pour pouvoir être satisfaite ? N’est-il pas d’une certain façon paradoxal de vouloir atteindre la pacification par un effort tendu vers la conquête, de chercher à atteindre le calme par la transe ou une attitude emprunte d’excès et d’exaspération ? Une sérénité conquise de haute lutte est-elle une sérénité ?

Il est vrai que même si une aspiration est emprunte d’éléments troubles, passionnels [1] , ce n’est pas une raison pour l’écarter : n’est-elle pas porteuse d’un dynamisme que l’on aurait tord de rejeter (donc de réprimer ou de refouler) ? Oui, mais à condition d’être rectifiée, assainie, canalisée c’est-à-dire nettoyée de tout élément excessif. Une décantation doit s’opérer, un travail cathartique de l’aspiration est à mettre en œuvre.

Comment dés lors interroger, agir ? Avec force mais sans effort, avec énergie et détermination mais sans jactance [2] . Il faut éviter d’être passif et inversement que l’activité soit source de tension. Le passage est étroit mais c’est à cette condition que l’aspiration retrouve son caractère naturel et coïncide avec l’élan vital. L’individu rompt avec ses attaches limitatives, s’en libère.

Mozart a entrepris dés sa jeunesse le travail de décantation, d’assainissement des désirs et recherches dont nous venons de parler, mais il n’en devient nettement conscient qu’à partir de la fin 1784. Pour quelle raison fin 1784 ? Parce qu’il se fait initier à la franc-maçonnerie le 14 décembre de la même année. Celle-ci (l’initiation) aura une importance capitale dans la pensée et dans l’inspiration musicale du compositeur.

Dans sa quête (c’est-à-dire dans son aspiration vers la sérénité, la joie, le bonheur, la connaissance), Mozart va en effet trouver un appui à travers le symbolisme franc-maçon du passage de l’ombre à la lumière. Par passage de l’ombre à la lumière, il faut entendre le passage d’une situation de vide intérieur, de doute, d’angoisse vers la sérénité, la confiance, la joie, la connaissance. C’est un mouvement de l’être qui, partant de l’ignorance, veut atteindre la connaissance, qui, partant de l’angoisse veut atteindre la sérénité. Il y a donc au départ anxiété interrogation, recherche. Il peut également y avoir à un moment ou un autre volonté de puissance, griserie, excès etc.

Musicalement parlant, le schéma de structure de la ‘démarche de la quête’ consiste en ceci : le départ de l’œuvre se fait dans l’obscurité et l’angoisse. C’est de là que s’élance celui qui, comme Tamino, dans "La Flûte enchantée" le fera plus tard, aspire à la connaissance (« Quand donc mes yeux trouveront-ils la lumière ? »). Cette angoisse est provoquée par une ardente volonté de connaître, laquelle se traduit par une interrogation insistante.

A un certain moment de l’œuvre (souvent dans le mouvement lent central) la réponse clarifiante est donnée. Elle n’est pas arrachée de haute lutte, mais versée des hauteurs dans un instant d’ardente poésie. Le finale, là-dessus, laissera l’apaisement se répercuter avec allégresse dans toutes les couches du psychisme. Autrement dit, le finale exprime les répercutions sur les plans externes du psychisme (c’est-à-dire moins intime, plus visible de l‘extérieur sous la forme d‘attitudes, d‘actes concrets) la paix attouchée au centre.

Ce schéma n’a aucune rigidité. Ce qui compte c’est la courbe d’ensemble qui recouvre toute une œuvre.

Par quels procédés ou langages musicaux Mozart parvient-il à exprimer l’ombre, la tension, ce qui dans l’aspiration est excessif ? Inversement de quelle manière l’irruption de la lumière surgit-elle ?

Tout ce qui est violence, impatience et crispation dans l’aspiration trouve son expression normale dans le langage thématique (exemples frappants : le Concerto pour piano et orchestre n°20 en ré mineur K. 466, et la Musique funèbre maçonnique en 1785, le finale de la Sonate pour quatre mains K. 497 et l’allegro de la Symphonie de Prague en 1786, la Symphonie n°40 en sol mineur K. 550 en 1788). L’irruption de la lumière, elle, se fait soit par le contrepoint, soit par un contraste de timbres (les vents), soit - et surtout - par la pure poésie mélodique. Mais le langage thématique n’a pas qu’un rôle négatif et obscur : Mozart finira par lui donner la même valeur de sérénité qu’aux autres. Sous cet angle, si nous examinons les œuvres successives à partir de janvier 1785, le trajet de cette progression est passionnante à suivre.

Oeuvres de Mozart dans lesquelles le symbolisme du passage de l’ombre à la lumière est présent (période 1785-1791)

- Quatuor à cordes n°19, K 465 dit « Les dissonances ». Date d’achèvement (DA) : le 14 janvier 1785

C’est la première œuvre où nous voyons nettement mis en route la démarche de la quête.

- Concerto pour piano et orchestre n°20, K 466. DA : le 10 février 1785

- Fantaisie pour piano K 475. DA : le 20 mai 1785

- Musique Funèbre maçonnique (Mauerische Trauermusik), K 477. DA : le 7 novembre 1785

- Quatuor pour piano et cordes K 478. DA : le 16 octobre 1785

- Sonate pour violon et piano K 481. DA : le 12 décembre 1785

Son finale exprime les répercutions sur les plans relativement externes du psychisme, la paix attouchée au centre.

- L’andante central du Concerto pour piano et orchestre n°22, K 482 DA : le 16 décembre 1785. Cet andante (second mouvement) récapitule à lui tout seul toutes les étapes du passage de l’ombre à la lumière avec un symbolisme orchestral qui le rend parfaitement intelligible.

- L’adagio du Concerto pour piano et orchestre n°23, K 488. DA : le 2 mars 1786. L’interrogation anxieuse au départ du mouvement se résout progressivement : dans la cadence le piano recueille la lumière intérieure. Il est normal, après cela, que le finale se déploie dans le chatoiement d’accents joyeux.

- Concerto pour piano et orchestre n°24, K 491 DA : le 24 mars 1786

Ce concerto illustre également la démarche de la quête bien que l’issue n’exprime pas la pleine lumière mais plutôt le fait de ’tenter de vivre’.

- Symphonie n°38, K 504 dite ‘Prague’, DA : le 6 décembre 1786

- Quintette à cordes K 515, DA : le 19 avril 1787

- Quintette à cordes K 516, DA : le 16 mai 1787

- Adagio en si mineur pour piano K 540, DA : le 19 mars 1788

Le passage de l’ombre à la lumière y est présenté de façon concentré.

- Symphonie n°39, K 543, DA : le 26 juin 1788

Cette symphonie expose à elle seule et entièrement la démarche de la quête.

- Symphonies n°40, K 550 et 41, K 551, DA respectives : le 25 juillet 1788 et le 10 août 1788

Ces deux symphonies sont à solidariser car elles couvrent ensemble la présentation de la quête.

- Quatuor à cordes n°23, K 590, DA : juin 1790

La démarche de la quête est présente mais simplement esquissée.

- Quintette à cordes K 593, DA : décembre 1790

Ce quintette présente d’une manière parfaitement intelligible les phases de la démarche. L’ombre du point de départ n’a jamais été aussi noire et la lumière qui atteinte n’aura jamais été aussi pure. Le larghetto initial (comme dans le quatuor des ‘Dissonances’, la symphonie dite ‘Prague’) évoque la nuit obscure et l’angoisse.

- La flûte enchantée K 620, DA : le 28 septembre 1791

- Le Requiem K 626, DA : interrompu par la mort de Mozart le 5 décembre 1791

Sources

Mozart, de l’ombre à la lumière, Jean Victor Hocquard, Jean-Claude Lattès/Archimbaud, 1993

Mozart, Jean Victor Hocquard, Seuil, 1994. (Se reporter plus particulièrement aux pages 98 et 99)

Mozart, musique de vérité, Jean Victor Hocquard, Les belles lettres/Archimbaud, 1996

Textes de Jean Victor Hocquard rassemblés par Michel Poulain

Notes

[1] Le mot ‘passion’ est emprunté très précocement (vers 980) au latin ‘passio, - onis’ dérivé du verbe ‘pati’ qui signifie ‘souffrir’. La passion nous saisi, nous emporte, nous ravage. On est soumis, livré à elle, à son esclavage. Elle consiste en des états affectifs et intellectuels assez puissants qui dominent la vie de l’esprit, par l’intensité de leurs effets ou la permanence de leur action. En français moderne et dans le langage courant, le mot passion a acquis par contre une valeur active et positive pour désigner un goût vif pour quelque chose ou quelqu’un.

[2] Jactance : attitude d’une personne qui manifeste avec arrogance ou emphase la haute opinion qu’elle a d’elle-même.

    Michel POULAIN
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