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Musique sérielle : exemples de séries chez Webern (2ème partie)

Nous avons vu dans la première partie de ce dossier comment Webern met à jour de nouvelles possibilités de construction, grâce à la segmentation des douze sons et aux relations d’identité qu’elle génère, permettant d’organiser enfin un véritable développement musical qui manquait au dodécaphonisme. Parmi ces relations d’identité, il en dégage une nouvelle particulièrement féconde : la symétrie des segments, qu’il s’attachera à développer et à laquelle il reviendra sans cesse. Lire l’article


SOMMAIRE

 1-LES PREMIERES SERIES : LA SEGMENTATION SERIELLE
 2-LA "PREMIERE VOIE" : STRUCTURATION SYMETRIQUE DES 12 SONS
 3-LA "SECONDE VOIE" : CROISEMENTS ET PERMUTATIONS SERIELLES


LA "PREMIERE VOIE" : STRUCTURATION SYMETRIQUE DES 12 SONS

En 1926, Webern franchit un premier seuil vers une structuration symetrique des segments, avec l’établissement de la série de l’op. 20, note Alain Galliari [1] : « La succession de douze sons que Webern imagina pour son Trio op. 20 suit deux idées : celle d’une répartition égale de demi-tons et celle d’une structuration générale fondée sur un motif générateur. La série est constituée en effet d’une succession régulière de demi-tons séparés par des intervalles plus larges ; elle est par ailleurs segmentée en trois groupes de quatre sons (ou "tétracordes"), le troisième formant le renversement à la tierce mineure inférieure du deuxième. »

La série sur laquelle Webern fonde l’année suivante (1927) sa Symphonie op. 21 propulse la logique initiée par la série précédente à un premier degré de perfection. « Première série véritablement symétrique, celle de l’op. 21 est aussi la première entièrement combinatoire. Elle compte en effet six demi-tons organisés autour d’un miroir hexaphonique exact : les six derniers sons constituent l’imitation rétrograde (au triton) des six premiers. Ce premier palindrome en contient en outre deux autres : la série se divise en effet également en trois tétracordes dont le dernier (sons 9-12) est l’imitation rétrograde (toujours au triton) du premier (sons 1-4) , les quatre sons centraux développant la même symétrie deux à deux. Trois miroirs sont ainsi imbriqués à la façon de poupées russes.[...] Ces relations d’analogie permettent des jeux sophistiqués d’échanges de sons et de " tuilages " de séries (enchaînements de deux séries par le chevauchement d’une ou de plusieurs notes communes) , que Webern ne cessera plus d’explorer.

[…] Les relations d’identités tour à tour parfaites (même ordre des sons) ou irrégulières (mêmes sons dans un ordre permuté deux à deux) qu’entretiennent entre eux les tétracordes des séries d’un même réseau, entraînent dans la Symphonie op.21 une écriture kaléidoscopique qui offre une première réalisation à visée musicale : un développement musical à l’image de la " plante originelle " goethéenne [2], fondé à la fois sur la symétrie et sur des croissantes résultant à la fois de relations d’identité et de contrastes de différences ». Soulignons ici que Webern envisage la technique dodécaphonique comme "l’aboutissement naturel" de l’évolution du langage musical, et " l’idéal des compositeurs de toutes les époques", le but que "tous les grands maîtres ont eu instinctivement devant les yeux" ( voir article Anton von WEBERN : Concerto pour 9 instruments)

Pour la première fois, Webern conçoit sa série de douze sons avec des propriétés particulières dues à la symétrie centrale autour d’un triton (6 sons + 6 sons) dont Webern exploitera les caractéristiques dans la structure sérielle du mouvement. La combinaison entre contrepoint rigoureux et Klangfarbenmelodie [3] correspond pour Webern à une synthèse entre les possibilités d’une nouvelle écriture et les formes héritées du passé : « nous n’avons pas abandonné les formes classiques. Ce qui est venu ensuite n’est que leur transformation, leur élargissement, leur réduction ; mais les formes ont continué d’être – même chez Schoenberg ! » (Chemin vers la nouvelle musique.)

Vient ensuite la fameuse série sur laquelle Webern a bâti son Concerto op. 24. « De conception également symétrique et segmentaire, nous dit A. Galiari, cette série se compose de quatre groupes de trois notes formés d’un demi-ton et d’une tierce majeure, chacun de ces " tricordes " étant fondé sur l’une des quatre formes de la manipulatrice contrapuntique (initiale, contraire, rétrograde, contraire rétrograde), ce qui établit entre eux un rapport absolu d’identité et de symétrie : le deuxième tricorde est ainsi l’imitation contraire rétrograde du premier, le troisième est son imitation rétrograde et le quatrième son imitation contraire. Les quatre tricordes de S apparaissent ainsi dans Rvl (dans l’ordre 4-3-2-1) , dans Rc6 (dans l’ordre 2-1-4-3) et dans RcRv7 (dans l’ordre 3-4-1-2) . C’est ce tissu croisé, formé par le double miroir vertical et horizontal qui marque la série que Webern voulut exprimer en l’associant au palindrome Sator ».

A partir de là, Webern poursuit cette exploration "en tout sens" : croisements, permutations, superpositions, imbrications récurrences... délaissant quelque temps la symétrie pour ouvrir progressivement une seconde voie au sérialisme.

Notes

[1] "Anton von Webern" - Edition Fayard)

[2] Au cours de son voyage en Italie, et plus exactement à Palerme, en avril 1787, Goethe eut l’intuition d’une « plante-mère », ou originelle, dont chaque plante serait l’une des multiples formations dans le monde terrestre : « Devant tellement de formes nouvelles et renouvelées, mon esprit fut saisi par une ancienne chimère : dans ce foisonnement, ne me serait-il pas donné de découvrir la plante originelle ? Une telle plante doit bien exister ! Car sinon, comment pourrais-je reconnaître que telle formation est une plante, si toutes n’étaient pas formées sur le même modèle »

[3] où une succession de timbres est soumise, comme la succession des hauteurs, aux règles du développement sériel.

    Joëlle KUCZYNSKI
    Responsable administration de l’école à distance POLYPHONIES. Conception et réalisation des supports formation. Responsable rédaction du Mensuel. Chanteuse.
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